Science ou science-fiction : L’éducation liée aux opiacés : l’importance du sexe et du genre

Les prescriptions d’opiacés ont plus que doublé au cours des deux dernières décennies.Note en bas de page 1 Cette forte augmentation est préoccupante : les opiacés sont associés à de hauts taux de surconsommation, de dépendance et de décès.Note en bas de page 2,Note en bas de page 3,Note en bas de page 4,Note en bas de page 5,Note en bas de page 6 Bien que le sexe et le genre soient des facteurs qui influencent la consommation et la surconsommation d’opiacés, ces facteurs sont souvent ignorés lors du traitement de la douleur. La prise en compte des aspects liés au sexe et au genre dans l’éducation des patients pourrait-elle aider à résoudre la crise des opiacés au Canada?

Douleur chronique et les opiacés

Le traitement de la douleur chronique constitue un défi pour le système de santé canadien. Une personne sur cinq souffre de douleur chronique (définie comme une douleur continue ou intermittente durant au moins six mois, qui n’est pas liée au cancer ou au traitement d’un cancer).Note en bas de page 7 Un Canadien sur six rapporte consommer des opiacés et le Canada est le plus grand consommateur d’opiacés prescrits au monde.Note en bas de page 8,Note en bas de page 9

Femmes, sexe, genre et opiacés

Le sexe influence l'utilisation d'opiacés; les femmes sont en effet plus susceptibles de souffrir de la douleur chronique.Note en bas de page 5,Note en bas de page 6,Note en bas de page 10,Note en bas de page 11,Note en bas de page 12 La variation normale des niveaux d'œstrogène pendant le cycle menstruel ainsi que la thérapie de remplacement hormonale après la ménopause peuvent influencer la sensibilité à la douleur et l’efficacité des analgésiques opioïdes.Note en bas de page 13,Note en bas de page 14

Le genre joue également un rôle. Les femmes sont plus susceptibles de consulter un professionnel de la santéNote en bas de page 15 et de recevoir des ordonnances pour tous les types de médicaments, y compris les opiacés.Note en bas de page 11,Note en bas de page 16 « En raison des stéréotypes, de nombreux prescripteurs ont des idées préconçues à l’effet que l’une utilisation est moins problématique des médicaments chez les femmes que les hommes », précise la Dr Zainab Samaan, chercheure financée par les IRSC qui étudie l’utilisation des opiacés à l’Université McMaster. Ces préjugés ont été remis en question par les résultats d’une étude effectuée auprès de 500 personnes ayant des troubles liés à la consommation d'opiacés et provenant de 13 cliniques de réadaptation de l'Ontario. Cinquante-deux pour cent des femmes, contre seulement 38% des hommes, rapportent que leur première exposition aux opiacés résulte d’une prescription médicale.Note en bas de page 11 Plus de femmes rapportent des problèmes de santé physique et psychologique, des antécédents familiaux d'anxiété et de dépression ainsi que des responsabilités de soignant.Note en bas de page 11,Note en bas de page 17

Dans les études de la Dre Samaan, seulement 35 % des utilisateurs d'opiacés ont signalé une douleur chronique.Note en bas de page 11 L'euphorie induite par les opiacés, qui réduit l'intensité du stress et de l'anxiété, peut expliquer la consommation soutenue. Les grands médias ont montré que de plus en plus de femmes s’accrochent aux opiacés en raison des pressions liées au genre telles que la réussite professionnelle, aux obligations de « supermamans » ou pour jongler avec leurs responsabilités d’aidant. Le film Bad Moms a ainsi dépeint une maman désespérée qui admet prendre un Vicodin® toutes les 20 minutes juste pour survivre à sa journée, même si elle n’a pas de douleur. Les inégalités institutionnalisées liées au genre, telles que l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes ainsi que le stress financier subi par les femmes dans les couches socioéconomiques inférieures sont d'autres facteurs de risque.Note en bas de page 11,Note en bas de page 17

Masculinité, testostérone et opiacés

Les opiacés réduisent les niveaux de testostérone de moitié chez les hommes.Note en bas de page 20 On pourrait penser que ce facteur lié au sexe entraverait l'utilisation des opiacés chez les hommes. Pourtant, certains utilisateurs d’opiacés ont permis de mettre en lumière un nouveau mythe à ce sujet, en a rmant que seule la méthadone, un opioïde synthétique distribué lors des thérapies de sevrage, abaisserait les niveaux de testostérone. En fait, il a été démontré que tous les opiacés peuvent abaisser le niveau de testostérone chez les hommes et diminuer la libido.Note en bas de page 20 Cette idée fausse pourrait rendre certains hommes plus réticents à recourir à un traitement.

Les facteurs liés au genre transparaissent particulièrement au sein de la population des anciens combattants, où les taux de consommation d’opiacés sont les plus élevés.Note en bas de page 21,Note en bas de page 22 Ces derniers sont plus susceptibles de sou rir de stress post-traumatique et d'anxiété, de même que d'une pression supplémentaire provenant d’environnements traditionnellement hyper-masculins. La stigmatisation pourrait empêcher les hommes de chercher de l'aide et mener à l'automédication.

Les hommes sont deux fois plus susceptibles d'augmenter leurs doses.Note en bas de page 6 « Cette tendance, lorsqu’elle est associée à des comportements traditionnellement masculins, peut créer une combinaison mortelle, impliquant notamment la prise de risques », dit Samaan. Les hommes sont également deux fois plus susceptibles de mourir des suites d’un abus d'opiacés.Note en bas de page 6

Comment est-ce l’éducation du patient devrait prendre en compte l’influence du sexe et du genre?

Étant donné l’influence majeure du sexe et du genre sur les causes et les conséquences de l'utilisation chronique d'opiacés au Canada, il est important que l'éducation et le traitement des patients tiennent compte du sexe et du genre. Les femmes devraient être informées qu’elles devraient rapporter si elles prennent la pilule contraceptive ou le remplacement hormonal, ainsi que si elles perçoivent un lien entre la douleur et leur cycle menstruel. Les pressions liées au genre ressenties par les femmes dans leur vie devraient être exposées et prises en compte afin de trouver des meilleurs moyens pour faire face au stress et à l'anxiété.

Les hommes ont le droit de savoir que tous les opiacés diminuent les niveaux de testostérone ainsi que la fonction sexuelle. Les messages destinés aux consommateurs devraient tenir compte des éléments liés au genre tels que la ténacité masculine et la stigmatisation associée aux symptômes de santé mentale. Le processus de consentement éclairé devrait inclure un avertissement indiquant qu’une dépendance aux opiacés peut se créer très rapidement pour les hommes et les femmes, dès les deux premières semaines d’utilisation.

« Les approches thérapeutiques prenant en compte les di érences entre les sexes et les genres seront beaucoup plus efficaces », dit Samaan. La thérapie intégrative qui répond aux besoins des femmes et des hommes doit inclure un accès et une couverture intégrant des services de garde d'enfants, d'orientation professionnelle, de soutien psychologique, ainsi que des services juridiques et de soutien pour faire face aux toxicomanies préexistantes. Une approche plus personnalisée et adaptée au sexe et au genre à l’égard de la consommation des opiacés pourrait aider à réduire les risques de dépendance et à améliorer la santé des hommes et des femmes.

L’histoire de Bert

Quand Bert Mitchell, 53 ans, a été gravement blessé dans un accident de voiture en 2003, il s’est retrouvé avec une douleur extrême. Ses docteurs lui ont prescrit de puissants opiacés.

Quand avez-vous réalisé que vous étiez dépendant?

Quatre ans plus tard; j’écoutais un programme de télé sur « l’héroïne des pauvres ». J’ai réalisé que ça, c’était ce que je prenais, et j’ai décidé cette journée-là de ne plus en prendre. L’effet des médicaments a commencé à diminuer, et je pouvais ressentir la douleur de façon intermittente jusqu’à ce qu’elle m’envahisse complètement. Le besoin de prendre un opiacé était irrésistible. J’ai cédé.

Qu’est-ce que votre docteur a dit?

Il était très fâché. Je n’avais pas fait de recherches là-dessus, mais j’avais des symptômes de sevrage. Nous avons développé ensemble un programme pour réduire graduellement ces symptômes. C’était horrible. Je ne pouvais pas fonctionner. Alors, il m’a donné des timbres de fentanyl. J’avais tellement peur de la douleur que ça m’a pris six ou sept ans avant d’arrêter d’utiliser les timbres.

Pourquoi avez-vous décidé de cesser les opiacés?

Je sentais que les médicaments me causaient plus de tort que la douleur elle-même. J’avais de la somnolence. J’ai failli avoir plusieurs accidents de voiture. Je me crispais dans le lit, je me levais et me promenais pendant la nuit.

Qu’est-ce que les cliniciens pourraient améliorer?

J’aurais aimé savoir à quel point ces médicaments sont addictifs. Quelques années plus tard, mon appendice a éclaté et j’ai dit au docteur que je ne voulais pas d’opiacés parce que j’étais susceptible à la dépendance. Il m’a préscrit du Percocet. Quand je suis allé voir le pharmacien, il m’a dit que c’était de l’oxycodone. Est-ce mon docteur ne le savait pas? Est-ce les chirurgiens sont au courant que le soulagement de la douleur après la chirurgie peut mener à la dépendance? Peut-être qu’ils ne le savent pas. J’ai bien peur que ce soit une grande partie du problème lié aux opiacés. Les docteurs n’en savent pas assez à propos de l’euphorie que vous pouvez sentir et de la rapidité à laquelle on peut devenir dépendant.

Comment allez-vous maintenant?

Beaucoup mieux. Je ne prends rien. J’ai de la douleur, mais je préfère ça que d’être dépendant aux opiacés. Je fais la physiothérapie, j’ai des massages thérapeutiques et d’autres traitements.

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