Traumatismes craniocérébraux : le genre importe-t-il?

De nombreuses poursuites médiatisées à propos des commotions cérébrales chez les athlètes professionnels, comme les joueurs de hockey ou de football, ont permis d'attirer l'attention du public sur un grave problème, celui des traumatismes craniocérébraux (TCC) chez les hommes. Ces derniers sont plus à risque que les femmes de subir ce type de traumatisme : il s'agit même de la première cause de décès chez les jeunes hommes1. Cela explique pourquoi jusqu'à présent, les chercheurs se sont principalement penchés sur le TCC chez les hommes, ou qu'ils n'ont carrément pas tenu compte de l'influence du sexe (facteurs biologiques) et du genre (facteurs sociaux). A-t-on négligé l'étude des TCC chez les femmes? Que savons-nous sur l'influence exercée par le sexe et le genre sur ce type de traumatisme? Pourquoi ces connaissances seraient-elles essentielles au diagnostic, à la prévention et au traitement des TCC?

Les différences fondées sur le genre et le sexe appliquées au diagnostic et à la guérison

Le traumatisme craniocérébral est un problème qui dépasse les frontières, occasionnant environ 10 millions de cas de décès et d'invalidité chaque année à travers le monde2. Le fait que les hommes soient jusqu'à trois fois plus susceptibles que les femmes de subir un tel traumatisme s'est traduit par une « pénurie d'articles scientifiques à propos du TCC chez les femmes et les filles », selon la Dre Angela Colantonio, chercheuse principale au Acquired Brain Injury Research Lab [Laboratoire de recherche sur les lésions cérébrales acquises] de l'Université de Toronto. Même s'il est vrai que dans l'ensemble, le taux de prévalence du TCC est plus élevé chez les hommes que chez les femmes, le nombre total de cas indique tout de même que des millions de femmes en sont victimes chaque année. Le TCC représente donc un enjeu de santé prioritaire autant chez les hommes que chez les femmes. Des chercheurs ont récemment ciblé les sous-groupes les plus à risque au sein de la population féminine, comme les athlètes. Celles-ci seraient même plus susceptibles que leurs homologues masculins de subir une commotion cérébrale et de s'en remettre plus difficilement3. Un récent examen des blessures en milieu de travail en Ontario mené par la Dre Colantonio a révélé que le risque global des hommes de subir un TCC au travail était supérieur de 8 % au risque couru par les femmes, mais que ces dernières couraient un plus grand risque dans plusieurs industries4.

Un nombre grandissant de données probantes viennent également mettre au jour d'importantes différences entre les expériences vécues par les hommes et les femmes après un TCC. Par exemple, les femmes semblent être plus susceptibles que les hommes de souffrir de maux de tête et de nausées5. Les preuves accumulées ne nous permettent pas encore de comprendre clairement comment et pourquoi ces expériences diffèrent, mais les chercheurs ont avancé que des facteurs psychologiques, comme des différences en matière de taille et d'hormones reproductives, pourraient avoir un impact sur la gravité et la guérison de la blessure1. Certains facteurs sociaux influenceraient aussi l'expérience vécue et les résultats obtenus par une personne après un TCC. En ce qui concerne les personnes âgées, les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes de vivre dans un établissement de soins de longue durée plutôt qu'à la maison6. Certaines femmes ont également indiqué avoir renoncé à des soins personnels et à des traitements de réhabilitation afin de s'acquitter de leurs obligations familiales, malgré d'importants symptômes physiques et mentaux. Il importerait d'examiner plus en détail la façon dont la répartition des rôles traditionnels en fonction du genre peut influencer la guérison des victimes d'un TCC7.

La nécessité de mener des recherches plus approfondies sur le TCC chez les femmes

En 2010, le Laboratoire de recherche sur les lésions cérébrales acquises, dirigé par la Dre Angela Colantonio, a permis de rassembler des chercheurs, des cliniciens et des femmes ayant subi un TCC dans le cadre d'un atelier intitulé Women and Traumatic Brain Injury: Advancing the Agenda for Health [Lésions cérébrales traumatiques chez les femmes : Favoriser la progression de la santé]. Il s'agissait du premier événement du genre à se pencher sur la santé et la qualité de vie des femmes ayant survécu à un TCC. Les femmes présentes ont demandé qu'une plus grande attention soit accordée aux problèmes de santé qui touchent exclusivement les femmes après un TCC, comme les changements hormonaux qui peuvent occasionner l'ostéoporose et l'hirsutisme (développement d'une pilosité de type masculin)8. Des survivantes ont aussi signalé le manque de sensibilité du personnel soignant à leur égard. Elles se sentaient notamment victimes de préjugés de la part du milieu médical, certains cliniciens semblant banaliser leurs besoins et leurs objectifs de rétablissement, comme réussir à marcher de nouveau. Les cliniciens ont insisté sur le besoin de former les fournisseurs de soins de santé et de renseigner les femmes et les filles ayant subi un TCC à propos de la violence conjugale8. D'une part, il arrive fréquemment qu'un TCC ne soit pas diagnostiqué lorsqu'une femme obtient des traitements médicaux après un abus9. D'autre part, une femme ayant subi un TCC est plus à risque d'être victime d'abus8. Dans l'ensemble, les participants ont souligné que des recherches plus approfondies sur les répercussions du TCC sur la cognition, la santé physique et mentale et le mieux-être social des femmes étaient nécessaires.

Conclusion

Bien que la recherche sur les hommes ayant subi un TCC demeure cruciale, elle ne met en lumière qu'un seul côté de la médaille. Selon la Dre Colantonio, nous ne possédons toujours que « très peu de connaissances à propos des répercussions des traumatismes cérébraux sur le corps des femmes. » La bonne nouvelle, c'est que le TCC chez les femmes commence à retenir l'attention. Se basant sur besoins mis en évidence lors de l'atelier sur les lésions cérébrales traumatiques chez les femmes qui a eu lieu en 2010, les chercheurs du Girls & Women with Acquired Brain Injury Lab [Laboratoire sur les lésions cérébrales acquises chez les femmes et les filles] multiplient les efforts pour combler d'importantes lacunes en matière de connaissances sur le TCC, le sexe et le genre. Ils ont récemment achevé une étude portant sur les expériences et les besoins en matière de soins de santé des femmes ayant subi un TCC et, plus précisément, sur les obstacles les empêchant d'accéder à ces soins. Les études cherchant à mieux comprendre les liens entre le sexe, le genre et le TCC sont essentielles au processus d'élaboration de politiques en matière de santé et de formations ciblées visant à améliorer la prévention, le diagnostic et le traitement du TCC chez les hommes et les femmes.

À propos des travaux de recherche

Améliorer la santé et la qualité de vie des femmes et des filles ayant subi un traumatisme craniocérébral est le principal objectif du Laboratoire sur les lésions cérébrales acquises chez les femmes et les filles, dirigé par la Dre Angela Colantonio. Au nombre des neuf titulaires de chaires de recherche des IRSC sur le genre, le travail et la santé, la Dre Colantonio dirige un programme de recherche sur le genre, le travail et les TCC afin de combler les lacunes associées à la recherche, aux politiques et aux pratiques en matière de santé et de sécurité au travail.

Notes en bas de page

Note en bas de page 1

Stein, D. G. (2001). « Brain damage, sex hormones and recovery: a new role for progesterone and estrogen? », Trends in neurosciences, vol. 24, no 7, p. 386-391.

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Note en bas de page 2

Chase, S., G. Ratcliff, L. Vernich, E. Al-Sukhni, B. Yasseen et A. Colantonio (2012). « Preventive health practices and behavioral risk factors in women surviving traumatic brain injury », Health care for women international, vol. 33, no 7, p. 631-645.

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Note en bas de page 3

Dick, R. W. (2009). « Is there a gender difference in concussion incidence and outcomes? », British journal of sports medicine, vol 43, suppl. 1, p. i46-i50.

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Note en bas de page 4

Colantonio, A., D. Mroczek, J. Patel, J. Lewko, J. Fergenbaum et R. Brison (2010). « Examining occupational traumatic brain injury in Ontario », Canadian Journal of Public Health, p. S58-S62.

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Note en bas de page 5

Colantonio, A., J. E. Harris, G. Ratcliff, S. Chase et K. Ellis (2010). « Gender differences in self reported long term outcomes following moderate to severe traumatic brain injury », BMC Neurology, vol. 10, no 1, p. 102.

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Note en bas de page 6

Brown, S. B., A. Colantonio et H. Kim (2012). « Gender differences in discharge destination among older adults following traumatic brain injury », Health Care for Women International, vol. 33, no 10, p. 896-904.

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Note en bas de page 7

Alston, M., J. Jones et M. Curtin (2012). « Women and traumatic brain injury: “It's not visible damage” », Australian Social Work, vol 65, no 1, p. 39-53.

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Note en bas de page 8

Harris, J. E., A. Colantonio, T. Bushnik, F. Constantinidou, D. Dawson, Y. Goldin-Lauretta, B. Swaine et J. Warren (2012). « Advancing the health and quality-of-life of girls and women after traumatic brain injury: Workshop summary and recommendations », Brain Injury, vol. 26, no 2, p. 177-182.

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Note en bas de page 9

Banks, M. E. (2007). « Overlooked but critical: traumatic brain injury as a consequence of interpersonal violence », Trauma, Violence, & Abuse, vol. 8, no 3, p. 290-298.

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