La dépression chez les hommes est-elle négligée?

Il est généralement admis que la dépression est beaucoup plus courante chez les femmes que chez les hommes. Elles reçoivent un diagnostic de dépression deux fois plus souvent que les hommes, et les publicités d'antidépresseurs mettent habituellement en scène des femmes1, 2. De plus, la plupart des études tenant compte du sexe portent sur des sujets féminins3. La dépression chez les hommes est-elle vraiment si rare, ou y aurait-il anguille sous roche?

Une épidémie silencieuse

La dépression chez les hommes est probablement plus courante que nous le pensons. Au Canada, quatre suicides sur cinq sont commis par des hommes4. Les taux de suicide globaux chez les hommes sont en fait plus élevés que les taux de dépression chez les hommes, ce qui semble indiquer que des hommes dépressifs ne sont ni diagnostiqués ni traités5. « En général, les hommes ne présentent pas les signes et symptômes caractéristiques de la dépression », affirme le Dr John Ogrodniczuk, Professeur de psychiatrie de l'Université de la Colombie-Britannique6. Les méthodes diagnostiques ont tendance à évaluer des symptômes de dépression qui sont plus courants chez les femmes (comme la tristesse et les pleurs) et à ignorer ceux qui se manifestent plus souvent chez les hommes (comme la colère et l'irritabilité)1, 7. Fait étonnant, même lorsque des hommes et des femmes présentent des symptômes identiques, les médecins sont moins susceptibles de poser un diagnostic de dépression chez les hommes8. La dépression peut aussi passer inaperçue chez les hommes parce que ceux-ci sont moins enclins à consulter les médecins en général, particulièrement dans les cas de dépression1, 3. Les chercheurs ont observé que les hommes associent souvent l'aide pour la dépression et les idées suicidaires à l'impuissance, à la vulnérabilité et à la perte de masculinité, ce qui explique pourquoi ils ont plus de mal à demander de l'aide5, 9, 10, 11.

Déstigmatiser la dépression et le suicide chez les hommes

Le Dr John Oliffe, Professeur à l'École des sciences infirmières de l'Université de la Colombie-Britannique, étudie la dépression chez les Canadiens à toutes les étapes de la vie. « La dépression et le suicide sont associés à une forte stigmatisation et à beaucoup de stoïcisme, déplore le Dr Oliffe, et bien des hommes hésitent à demander de l'aide. »

Dans les entrevues qu'ils ont menées auprès d'étudiants à l'université, les professeurs Oliffe et Ogrodniczuk ont constaté que le fait de parler de la dépression ou de demander de l'aide est souvent perçu comme un comportement qui n'est pas masculin de nature. Des étudiants ont estimé qu'il était socialement inacceptable de montrer ses émotions et craignaient d'être jugés pour avoir demandé de l'aide12. Afin de composer avec la situation, de nombreux répondants ont adopté des aspects de l'identité masculine idéalisée, comme la prise de risque ou la recherche de solitude, qui peuvent tous deux camoufler les symptômes de la dépression et l'aggraver. Chez les hommes d'âge moyen et les hommes plus âgés, les points de vue traditionnels sur la masculinité ainsi que la stigmatisation de la dépression représentaient des obstacles à la recherche d'aide : « C'est la culture du guerrier stoïque… ce n'est pas correct de demander de l'aide, ce n'est pas correct d'admettre toute forme de faiblesse », selon un répondant5. Cela dit, les idéaux masculins ont renforcé la résilience de certains hommes, en particulier lorsque ceux-ci considéraient que le fait de demander de l'aide était un choix rationnel et responsable4. Les attitudes envers la dépression chez les hommes semblent aussi changer. « Nous observons une volonté réelle de parler avec des pairs – d'autres hommes qui pourraient avoir le même problème – ou des intervenants professionnels », ajoute le Dr Oliffe13.

Pour lutter contre les préjugés entourant la dépression et offrir des ressources aux Canadiens, le site Web Men's Depression Help Yourself (en anglais seulement) présente les principales conclusions des recherches des professeurs Oliffe et Ogrodniczuk, ainsi que des entretiens filmés avec des professionnels de la santé mentale et des hommes souffrant de dépression. Selon le Dr Oliffe, ces ressources en ligne peuvent donner aux hommes dépressifs qui hésitent à demander de l'aide les moyens d'accéder de façon autonome à de l'information sur les soins auto-administrés et les traitements professionnels1.

Conclusion

Les attentes sociales quant aux réactions appropriées à la dépression selon le sexe ont une grande influence sur les symptômes des hommes, leurs stratégies d'adaptation et leurs comportements de recherche d'aide. Jusqu'à tout récemment, peu de chercheurs et de professionnels de la santé se sont intéressés à la dépression chez les hommes. Même si les hommes dépressifs et ayant des pensées suicidaires sont nombreux à vouloir de l'aide, la pression de se conformer aux idéaux masculins peut rendre leurs démarches en ce sens laborieuses. Les outils en ligne comme le site Web Men's Depression Help Yourself contribuent à la déstigmatisation de la dépression chez les hommes et permettent à ceux-ci d'obtenir de l'aide dans l'anonymat.

À propos de la recherche

Financé par les Instituts de recherche en santé du Canada, le site Web Men's Depression Help Yourself (en anglais seulement) fait la chronique et la synthèse des recherches sur la dépression chez les hommes des professeurs Oliffe et Ogrodniczuk. Plus récemment, Movember a financé le travail continu du duo par l'intermédiaire du Men's Depression and Suicide Network (en anglais seulement). Le Dr Oliffe est fondateur et chercheur principal du programme de recherche en santé des hommes de l'Université de la Colombie-Britannique et professeur à l'École des sciences infirmières de l'Université de la Colombie-Britannique. Le Dr Ogrodniczuk est professeur et directeur du programme de psychothérapie du Département de psychiatrie de l'Université de la Colombie-Britannique.

Notes en bas de page

Note en bas de page 1

Oliffe, J. L., et M. J. Phillips. 2008. « Men, depression and masculinities: A review and recommendations », Journal of Men's Health, vol. 5, no 3, p. 194-202.

1

Note en bas de page 2

Munce, S. E., E. K. Robertson, S. N. Sansom et D. E. Stewart. 2004. « Who is portrayed in psychotropic drug advertisements? », The Journal of Nervous and Mental Disease, vol. 192, no 4, p. 284-288.

2

Note en bas de page 3

Möller-Leimkühler, A. M. 2002. « Barriers to help-seeking by men: a review of sociocultural and clinical literature with particular reference to depression », Journal of Affective Disorders, vol. 71, no 1, p. 1-9.

3

Note en bas de page 4

Butler-Jones, D. 2012. Rapport de l'administrateur en chef de la santé publique du Canada sur l'état de la santé publique au Canada, 2012 : Le sexe et le genre – Leur influence importante sur la santé, Ottawa : Agence de la santé publique du Canada.

4

Note en bas de page 5

Oliffe, J. L., J. S. Ogrodniczuk, J. L. Bottorff, J. L. Johnson et K. Hoyak. 2012. « You feel like you can't live anymore: Suicide from the perspectives of Canadian men who experience depression », Social Science & Medicine, vol. 74, no 4, p. 506-514.

5

Note en bas de page 6

Aboutmen.ca. sans date. « Symptoms of Depression in Men », tiré du site Web Aboutmen.ca (en anglais seulement) (consulté le 31 octobre 2014).

6

Note en bas de page 7

Ogrodniczuk, J. S., et J. L. Oliffe. 2011. « Men and depression », Canadian Family Physician, vol. 57, no 2, p. 153-155.

7

Note en bas de page 8

Organisation mondiale de la santé. sans date. « Gender and women's mental health », tiré du site Web Organisation mondiale de la santé (consulté le 31 octobre 2014).

8

Note en bas de page 9

Sierra Hernandez, C. A., C. Han, J. L. Oliffe et J. S. Ogrodniczuk. 2014. « Understanding help-seeking among depressed men », Psychology of Men & Masculinity, vol. 15, no 3, p. 346-354.

9

Note en bas de page 10

Cleary, A. 2012. « Suicidal action, emotional expression, and the performance of masculinities », Social Science & Medicine, vol. 74, no 4, p. 498-505.

10

Note en bas de page 11

Oliffe, J. L., S. Robertson, M. T. Kelly, P. Roy and J. S. Ogrodniczuk. 2010. « Connecting masculinity and depression among international male university students », Qualitative Health Research, vol. 20, p. 987-998.

11

Note en bas de page 12

Oliffe, J., P. Galdas, C. S. Han et M. T. Kelly. 2012. « Faux masculinities among college men who experience depression », Health, 1363459312447256.

12

Note en bas de page 13

O'Brien, A. 13 mars 2009. « Macho men opening up about depression: Researchers », Canwest News Services, tiré du site Web Canada.com (en anglais seulement).

13

Date de modification :