Partie 2 : Engager les Canadiens dans l'élaboration d'une stratégie en matière de santé mentale au Canada

Recueil de cas sur l'engagement des citoyens dans la santé

La commission de la santé mentale du Canada
Tristan Eclarin et Mary Pat Mackinnon, Ascentum

Introduction

Fondée en 2007, la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a pour mandat d'agir comme catalyseur dans l'élaboration de la première stratégie nationale de santé mentale pour le Canada1. En janvier 2009, la CSMC a publié l'ébauche d'un document cadre intitulé Vers le rétablissement et le bien-être : Cadre pour une stratégie en matière de santé mentale au Canada, afin de le soumettre à l'examen du public et des intervenants2. Ce cadre établit huit grands objectifs en vue d'une approche globale à l'égard de la santé et de la maladie mentales au Canada (voir tableau 1). La CSMC a organisé 12 dialogues régionaux et trois consultations « ciblées » sur le cadre proposé, entre février et avril 2009.

Pourquoi engager les citoyens?

La CSMC poursuivait deux objectifs complémentaires dans l'organisation de ces activités d'engagement. Premièrement, elle désirait profiter de la richesse de l'expérience et des connaissances du milieu de la santé mentale dans la révision du document de travail, en s'intéressant particulièrement à la diversité des réalités vécues et aux points de vue auparavant négligés. Deuxièmement, la CSMC voulait réunir des appuis pour l'orientation émergente de la nouvelle stratégie pancanadienne en matière de santé mentale.

Tableau 1 : Objectifs du cadre provisoire pour « Vers le rétablissement et le bien-être » – Pré-engagement

Méthodes

Avant le début du processus d'engagement du public et des citoyens, la CSMC a effectué un vaste examen interne du cadre provisoire en faisant appel aux membres de la « famille » de la CSMC, qui comprend le Conseil des consommateurs, le conseil d'administration, les comités consultatifs et les représentants fédéraux, provinciaux et territoriaux (FPT)3. Ce processus a aidé à recueillir des commentaires détaillés sur le cadre provisoire auprès de ces groupes et à bâtir une relation de travail avec les intervenants, un aspect important des efforts pour parvenir à un consensus. Une fois compilés, les résultats du processus d'examen interne ont été intégrés à une version révisée du cadre, publiée en janvier 2009 pour consultation publique. Le processus de consultation a débuté immédiatement après la publication de ce document. Ascentum, une firme d'Ottawa spécialisée en engagement du public possédant de l'expérience dans le domaine de la santé mentale, a été embauchée par la CSMC pour concevoir et mettre en œuvre le processus de consultation, et faire rapport de ses résultats.

La CSMC a engagé une grande variété de personnes et d'organismes représentant toute la diversité du milieu de la santé mentale au Canada. Cette diversité se compose de gens ayant vécu des problèmes mentaux, de familles et de soignants, de groupes de revendication, de fournisseurs de services, de chercheurs, d'experts en politiques, des gouvernements FPT et d'organismes autochtones. La CSMC a recouru à un processus d'engagement en deux volets combinant des méthodes de consultation en personne et en ligne. Cette formule particulière a contribué à la représentativité des participants au processus, en offrant des possibilités de participation complémentaires. Les dialogues régionaux en personne ont permis des discussions plus approfondies et ont facilité la contribution de groupes particuliers, tandis que les consultations en ligne ont non seulement favorisé la participation des jeunes et des personnes vivant avec des problèmes mentaux, mais ont aussi aidé à atténuer les effets de la stigmatisation. Cela a encouragé davantage les membres du milieu de la santé mentale à participer au processus d'engagement.

Les dialogues régionaux

La participation aux 12 dialogues régionaux était réservée aux invités, et la CSMC a consulté les intervenants nationaux, provinciaux/territoriaux et locaux pour s'assurer de bien équilibrer sa liste d'invités. Les dialogues ont été structurés de sorte à maximiser les possibilités offertes aux participants de formuler des recommandations concrètes pour améliorer le cadre, de soulever des questions pertinentes pour leur région ou secteur et de fournir à la CSMC des données comparables d'une région à l'autre. Au total, 450 personnes ont pris part aux dialogues régionaux. La CSMC a également organisé trois « consultations ciblées » à Ottawa pour explorer les perspectives de trois groupes particuliers : les organismes autochtones et métis; les ministères fédéraux responsables de politiques ayant un impact sur la santé et la maladie mentales; des organismes nationaux, y compris des associations de professionnels de la santé.

Tous les dialogues en personne étaient prévus pour une journée complète. Chacun a débuté par un vote préalable par clavier numérique visant à évaluer les premières réactions « viscérales » des participants à chacun des huit objectifs énoncés dans le cadre provisoire. Cela a été suivi par une présentation sur le rôle et le mandat de la CSMC, et un bref survol du cadre par le directeur de la Stratégie en matière de santé mentale de la CSMC. Les participants ont ensuite été répartis en petits groupes pour les dialogues avec animateur. Chaque groupe a été chargé d'examiner trois ou quatre des huit objectifs, en s'employant à cerner ce qu'ils aimaient dans la formulation et la description des objectifs, ce qu'ils percevaient comme des faiblesses et ce qu'ils voudraient changer, supprimer ou ajouter. Chaque groupe a partagé ses conclusions en plénière, ce qui a permis d'étendre la discussion à tous les objectifs. Les dialogues ont été suivis d'une série de votes postérieurs par clavier numérique visant à mesurer l'évolution des attitudes des participants à l'égard des objectifs du cadre, et d'une discussion en plénière sur les résultats des votes. L'ordre du jour de ces activités est présenté au Tableau 2.

Tableau 2 : Exemple de l'ordre du jour d'un dialogue regional

Participation en ligne

Pendant un peu plus de deux mois, du 11 février au 19 avril 2009, la CSMC a aussi tenu une consultation en ligne bilingue visant à compléter les dialogues régionaux et à en élargir la portée. Le grand public et les groupes d'intervenants ont été encouragés à y prendre part. Les participants ont été recrutés par divers moyens, y compris l'envoi massif de courriels, la publicité durant les dialogues régionaux, les avis dans les médias, le « bouche à oreille » et le réseautage au sein du milieu de la santé mentale. Au total, 1 700 membres du grand public et 300 groupes d'intervenants ont fait part de leurs opinions à la CSMC dans le cadre de la consultation en ligne.

Deux options étaient offertes aux participants en ligne. Dans la première option, ils pouvaient remplir un questionnaire en ligne, incluant une combinaison de questions ouvertes et fermées, destiné à recueillir leur rétroaction sur les huit objectifs du cadre. Le questionnaire se distinguait par son accent mis sur la participation éclairée. Il fournissait aux participants de l'information essentielle sur les questions et les options à l'étude avant de leur demander leurs idées et leurs perspectives. Les questions reflétaient celles des dialogues régionaux, ce qui a permis une comparaison des résultats.

La seconde option permettait aux participants de s'exprimer sur le cadre en termes qualitatifs, dans le format de leur choix. Ils ont été invités à partager leurs expériences et leurs idées personnelles liées à n'importe quel des huit objectifs et à dire si les buts étaient compatibles avec la direction et l'ampleur du changement nécessaire pour transformer le système de santé mentale du Canada. Les participants pouvaient choisir de faire publier leurs commentaires dans le site de consultation pour permettre à tous de les lire, ou de les envoyer confidentiellement à la CSMC aux fins de l'analyse finale. On a donné aux intervenants la même possibilité de fournir leurs commentaires et suggestions. Une fois analysés, les résultats du dialogue et de la consultation en ligne ont été présentés à la « famille » de la CSMC en mai 2009, et un rapport de consultation a été rendu public dans le site Web de la Commission.

Résultats et impact

Dans le cadre du processus d'engagement, la CSMC a amassé une vaste quantité de données : près de 160 000 mots ont été produits sous forme de notes au cours des dialogues régionaux en personne, et plus de 465 000 mots ont été recueillis par suite des consultations en ligne sous forme de commentaires. On a observé une forte communauté de vues entre les personnes, les groupes et les organismes qui ont participé au processus de consultation. Compte tenu du nombre et de la diversité des participants, cela témoigne d'un consensus émergent sur l'opportunité d'aborder les questions de santé mentale au Canada et sur les fondations qui devraient supporter une stratégie dans ce domaine.

Un examen attentif des contributions du public et des intervenants — y compris des représentants provinciaux et territoriaux — par la CSMC a donné lieu à un certain nombre de changements importants au cadre provisoire. Premièrement, le document a été restructuré pour mieux intégrer la promotion de la santé mentale et la prévention de la maladie mentale, car de nombreux participants ont estimé que cela nécessitait une plus grande attention. Deuxièmement, un certain nombre de concepts clés ont été expliqués plus clairement et révisés dans le document. Par exemple, de nombreux participants n'étaient pas à l'aise avec les références multiples à un « système de soins de santé mentale » intégré au Canada. Selon eux, cette formulation était trompeuse car au lieu d'avoir un système intégré, le Canada possède une mosaïque de systèmes provinciaux/territoriaux qui varient grandement au niveau de leurs politiques, programmes et services. L'utilisation de termes comme « sécurité culturelle », « rétablissement » et « famille » dans le cadre provisoire a aussi été réévaluée et clarifiée par suite des réserves exprimées par les participants. Les objectifs du cadre au terme du processus d'engagement figurent au Tableau 3.

Tableau 3 : Objectifs du cadre provisoire pour « Vers le rétablissement et le bien-être » – Post-engagement

Par suite de ce travail, les huit objectifs du cadre ont été révisés à divers degrés. De plus, le 8e objectif (« Un vaste mouvement social s'assure que les problèmes liés à la santé mentale demeurent hors de l'ombre – pour toujours ») a été remplacé par « Un appel à la mobilisation », car les participants l'ont plutôt perçu comme un moyen vers une fin, et non comme un objectif distinct.

La version révisée du cadre est maintenant considérée comme un point tournant dans la promotion de la santé mentale au Canada4. Le cadre a été approuvé par les gouvernements provinciaux et territoriaux, la société civile et les personnes ayant vécu des problèmes mentaux. Le processus d'engagement a joué un rôle central dans le succès de la première phase de l'élaboration d'une stratégie de santé mentale, après la publication du cadre révisé. Cela prépare le terrain pour la deuxième phase du processus : déterminer comment réaliser la vision et les objectifs du cadre. Le processus d'engagement de la CSMC a aussi favorisé des relations de confiance productives qui augurent bien pour la collaboration à long terme dans ce dossier.

Leçons apprises

Le processus d'engagement de la CSMC démontre qu'il peut être payant à plusieurs égards d'investir dans la participation véritable et respectueuse du public et des intervenants. Premièrement, cela peut mener à des politiques plus inclusives, plus complètes et plus nuancées. Deuxièmement, cette initiative a démontré qu'un processus d'engagement efficace pouvait développer la confiance et assainir les relations entre (et parmi) divers acteurs, chose nécessaire pour mettre en œuvre des initiatives stratégiques durables dans des domaines comme la santé mentale.

L'expérience illustre aussi l'importance d'employer une variété de méthodes pour consulter un groupe d'intervenants complexe. Cette initiative d'engagement montre qu'en conjuguant les processus d'engagement en personne et en ligne, et en uniformisant la formulation des questions et des objectifs clés, on peut contribuer à étendre et à approfondir la consultation. Cela a permis la participation d'un échantillon de Canadiens relativement représentatif au regard de variables démographiques comme la région, le sexe, le revenu annuel, la répartition rurale/urbaine, l'héritage ethnoculturel et autochtone. Cela a aussi permis à la CSMC d'obtenir des taux de participation plus élevés des personnes ayant vécu des problèmes mentaux et d'un large éventail d'intervenants en santé mentale, comme des travailleurs de la santé et des travailleurs sociaux, des groupes de revendication, des chercheurs/universitaires et des représentants gouvernementaux.

La CSMC s'est employée à surmonter deux limites du processus : 1) les méthodes de recrutement en ligne; 2) les contraintes de temps pour les dialogues régionaux. Pour des raisons budgétaires, la CSMC a décidé de ne pas procéder par recrutement aléatoire pour sa consultation en ligne, préférant laisser les participants se porter eux-mêmes volontaires par le biais de son site Web et encourager la participation en ligne auprès d'une variété d'organismes. Bien qu'une combinaison des méthodes par recrutement aléatoire, encouragement et auto-sélection soit idéale, le processus choisi par la CSMC a néanmoins permis d'atteindre des taux de participation élevés dans divers groupes partout au pays.

La seconde limite découle de la formule des dialogues régionaux, où les participants discutent en petits groupes d'une partie des objectifs du cadre, et non de l'ensemble des objectifs. Ce compromis a été fait consciemment compte tenu des huit objectifs et des contraintes de temps. À la suite du travail en petits groupes, une séance plénière a permis aux participants d'aborder tous les objectifs. Il pourrait être utile d'avoir une demi-journée de plus pour donner aux participants le temps de réfléchir à tous les objectifs, mais il faudrait évaluer soigneusement le risque que le prolongement du temps à investir dans le processus nuise au recrutement de participants.

Dans un autre ordre d'idées, la position unique de la CSMC dans le secteur de la santé mentale au pays pose certains défis ou limites, ce qui pourrait faire l'objet d'une étude de cas distincte. En tant que catalyseur, la CSMC n'élabore pas de politiques, ni ne fournit de services; elle doit plutôt procéder par influence et persuasion. L'impact à long terme des contributions des participants sur le travail de la Commission au niveau de politiques est intimement lié à l'impact de la Commission sur le système de santé mentale au Canada. Cette question mériterait une réflexion attentive durant la prochaine phase des travaux de la Commission.

Notes en bas de page

Note en bas de page 1

Commission de la santé mentale du Canada, Vision et Mission de la CSMC (consulté le 17 oct. 2011).

1

Note en bas de page 2

Commission de la santé mentale du Canada, Vers le rétablissement et le bien-être : Cadre pour une stratégie en matière de santé mentale au Canada (Ottawa, 2009).

2

Note en bas de page 3

Ascentum Inc., Établir les objectifs d'une stratégie en matière de santé mentale au Canada – Rapport de consultation publique (préparé pour la Commission de la santé mentale du Canada, 2009).

3

Note en bas de page 4

Eclarin, T., Creating a Framework for a Mental Health Strategy for Canada: Assessing the Engagement Process—A Case Study (anglais seulement)(2010) (consulté le 13 janvier 2012).

4

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